Episode 5. Jeudi 13 juillet. Fleurs fânées
Dix-neuf heures. Les bureaux étaient vides. Le soleil cognait encore à travers les vitres, il faisait chaud. Dans le couloir une fenêtre était restée ouverte, on entendait le cri bref et enjoué d'un oiseau d'été. Près de la photocopieuse flottait une légère odeur de nourriture - dans la poubelle, une barquette vide qui avait dû contenir des bouchées à la vapeur ou des nouilles chinoises, vestige du déjeuner. Dans le bureau de l'attachée de presse, les journaux et les magazines étaient rangés par titre ; le tas "publications diverses" allait bientôt s'effondrer. Malgré le papillon scotché contre la paroi du placard, Merci de rapporter les journaux que vous empruntez !, il manquait le Libé du jour et le dernier Télérama. Chaque lundi, les filles pistaient le Elle de la semaine, et tout le monde se plaignait de ne jamais pouvoir lire Livres Hebdo, à moins d'attendre plusieurs semaines qu'il ait enfin fait le tour de la maison. Sur la table à droite de l'entrée étaient exposées les dernières parutions de la maison : quelques titres du mois de mai, et les romans de la rentrée, qu'on avait imprimés quelques mois en avance en espérant que les journalistes les emporteraient en vacances.
Le cri de l'oiseau résonna de nouveau. Robert poursuivit son tour. Il emprunta le couloir, longeant la bibliothèque. Tous ces livres, c'était un peu son oeuvre. Il s'en foutait. Dans la salle de réunion, il ne put s'empêcher de replacer les fauteuils autour de la table. Cette grande affiche sous verre, depuis quand était-elle là ? Qui l'avait choisie à l'époque ? Il ne se souvenait plus. Il lorgna la grosse télé réclamée par Carine, l'éditrice people, et que personne ne regardait jamais. Ecouta les lattes du plancher grincer sous la moquette grise élimée. Au bout du couloir, un petit bureau laid et vide dévolu aux stagiaires et aux signatures. Ensuite le bureau de Carine. Porte grande ouverte, fouillis de magazines, de fleurs fânées, de tasses sales, de paperasses jamais triées. Elle était partie ce soir en vacances, sans même ranger un peu. Robert soupira. Il s'en foutait.
D'habitude il aimait faire le tour de "sa" maison le soir, fouiner un peu, profiter du calme, respirer l'ambiance de la journée, comme si les événements, les sentiments, les paroles restaient pendant quelques heures en suspension dans l'air. Aujourd'hui il avait hâte de partir à son tour, de fuir la langueur des mois d'été. Que faisait-il ici, à inspecter les couloirs, à renifler ce qui lui échappait ? Il s'en alla.
Cette fois la maison était vide.
Vingt et une heures. Une ombre discrète passa dans les couloirs, tirant derrière elle un chariot hérissé de brosses, balais, seaux, détergents.
Vingt-trois heures. Un ordinateur était resté allumé. L'image hypnothique de l'écran de veille tournoyait dans le vide. Dans sa cuisine, Carine se rappella soudain qu'elle avait laissé sur son bureau le manuscrit qu'elle voulait lire pendant les vacances. Elle alluma une cigarette et se promit d'oublier totalement le travail. Robert éteignit l'halogène de son salon et resta immobile dans le noir. Anna riait, une bière à la main. Catherine bâilla. Antoine alla pisser au fond du jardin de sa toute nouvelle maison de campagne. Emilie dormait. Nelly aussi. Antoine descendit du train.